Les Belges, leur histoire ...

et celle de leur patrie, la Belgique

Georges Nagelmackers, père de l'Orient Express

 Georges Nagelmackers


Georges Nagelmackers est considéré comme le premier visionnaire européen. Ce fils de banquier belge révolutionna les conditions de voyage en proposant aux voyageurs de traverser le continent sans changer de train tout en bénéficiant du confort et du repos nécessaires pour les voyages de nuit.

Il créa la célèbre Compagnie Internationale des Wagons-Lits, obtint le soutien financier du roi Léopold II et mit sur pied l’Orient Express qui reliait Paris à Constantinople (Istanbul). Il contribua ainsi à ouvrir les frontières alors que les tensions entre pays étaient fortes.

Une jeunesse à l’abri du besoin

Georges naît à Liège le 24 juin 1845. Son père est l’héritier du fondateur de la plus ancienne banque belge créée en 1747 par Pierre Nagelmackers. Il semble dès lors que l’avenir du nouveau-né ne fasse aucun doute et qu’il soit même déjà tout tracé : il fera carrière dans la banque !

Le château Nagelmackers à Angleur
Le château Nagelmackers à Angleur  

La Banque Nagelmackers est à l’origine de la fortune familiale ; elle a ainsi notamment permis d’acquérir un château à Angleur près de Liège où quelques générations de Nagelmackers vivront dans le plus grand confort. Mais la famille ne se soucie pas uniquement des affaires bancaires, elle comprend également des industriels et des hommes d’Etat … Que du beau monde en quelque sorte !

Georges, quant à lui, choisit de faire des études d’ingénieur civil qu’il termine avec brio en s’étant particulièrement intéressé à la conception de projets. Les études n’empêchent cependant pas le futur génie de tomber éperdument amoureux … de sa cousine et d’échafauder des projets de mariage. La famille ne peut cacher sa désapprobation et crie au scandale. Devant la détermination persistante de son fils, Edmond Nagelmackers décide alors de recourir aux grands moyens. Convaincu que les voyages ouvrent l’esprit et permettent d’oublier les soucis les plus tenaces il lui retient une place sur le premier paquebot en partance pour New York.

Il ne faudra pas attendre bien longtemps pour que la charmante cousine cesse d’occuper les pensées du jeune homme ; il trouvera en Amérique des idées qui lui assureront bientôt gloire et fortune …

Les sleeping-cars de M. Pullman

George Mortimer Pullman
George Mortimer Pullman  

Source : Wikipedia

En Amérique, un certain George-Mortimer Pullman doit, en 1855, se rendre de Chicago à New York, un voyage de 70 km qui l’oblige à passer la nuit, assis, dans un train inconfortable. Il arrive à destination épuisé par une nuit blanche et songe sérieusement qu’il serait très utile d’améliorer les conditions de voyage. Aussitôt dit, aussitôt fait, notre homme s’ingénie à étudier la problématique et à élaborer puis finaliser un projet.

En 1858, il commence par aménager quelques bancs où les voyageurs pourraient s’allonger et, l’année suivante, c’est carrément un wagon-lit qui fait son apparition. Mais le confort n’est pas encore au rendez-vous : pas de draps, la fumée du poêle indispose fortement, l’éclairage à la chandelle est incertain … bref, l’amélioration ne vaut pas vraiment le supplément à payer !

Loin de se décourager, Pullman commence alors à voir beaucoup plus grand et crée le plus long et plus beau wagon du monde qu’il baptise « Pioneer ». Peu de temps après, en 1868, il lancera la première voiture-restaurant, le « Delmonico » qui évitera aux voyageurs de se sustenter dans les buffets de gare où la nourriture est médiocre. Après des débuts mitigés, c’est le succès et la demande devient chaque jour plus importante. George Pullman et son frère Albert deviennent les rois des express américains.

C’est dans ce monde en ébullition que Georges Nagelmackers débarque pour oublier son chagrin d’amour …

Un sleeping-car Pullman
Un sleeping-car Pullman  

Pendant un peu plus d’un an, Georges sillonnera les Etats-Unis en touriste en utilisant le chemin de fer et les fameux sleeping-cars de Pullman. Séduit par l’invention, il n’en sera pas moins attentif aux doléances des voyageurs dont la plus fréquente porte sur le manque d’intimité. Car, il faut bien le dire, les sleeping-cars de M. Pullman ressemblent à une voiture- dortoir ; l’isolement se limite à un simple rideau ! Ce serait tellement mieux de prévoir des cabines individuelles fermées songe le Belge … une éventualité à garder sous le coude !

Dans la tête de Georges Nagelmackers, les idées commencent à se bousculer et les projets foisonnent. Rentré en Belgique, il ne tardera pas à les concrétiser et, pourquoi pas, à songer à unir les Etats du Vieux Monde entre eux à l’instar des Etats-Unis d’Amérique …

Au travail !

Au cours de son séjour américain, Georges a pris beaucoup de notes, a essayé de fixer ses idées en ébauchant des croquis, s’est ingénié à élaborer des études financières et sociales : une base solide pour mettre en œuvre ce qui lui apparaît comme solution d’avenir pour l’Europe : améliorer le transport ferroviaire encore très rudimentaire en permettant aux voyageurs fortunés de bénéficier à la fois du confort des sleeping-cars et d’un luxe mieux adapté à la mentalité du vieux continent.

Commence alors tout le travail préparatoire.

Il se focalise sur le « compartiment », c’est-à-dire une petite cabine fermée où chacun peut se sentir chez soi pour la nuit. Il le veut élégant, confortable et raffiné avec de belles boiseries et des cuivres. Son sleeping-car serait ainsi composé de plusieurs de ces compartiments s’ouvrant chacun sur un couloir latéral.

En avril 1870, il publie une brochure intitulée « Projet d’installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent ». Est-ce à dire que le rêve est sur le point de se réaliser ? Non, bien sûr, il restait pas mal d’obstacles techniques et politiques à abattre … et puis, il fallait impressionner et faire mieux que ses concurrents parmi lesquels on retrouvait George Pullman qui cherchait à exporter son idée et venait tenter sa chance en Europe.

Une chose est sûre, la Belgique est un pays trop petit pour contenir les idées ambitieuses de l’ingénieur belge : un service de wagons-lits n’a aucun sens pour un voyage à l’intérieur du territoire national qui ne nécessiterait pas plus d’une journée ! Nagelmackers comprend dès lors qu’il doit étendre son projet au niveau international tout en restant indépendant par rapport aux compagnies ferroviaires. Son ambition est donc de relier plusieurs capitales européennes entre-elles.

Les obstacles politiques

L'Europe au 19e siècle
L'Europe au 19e siècle  

Pour bien comprendre les enjeux, replongeons-nous un moment dans l’Europe de 1870. Les grandes puissances sont :

  • La France
  • L’empire austro-hongrois
  • L’empire ottoman
  • La Prusse

L’organisation d’un voyage international induit donc le franchissement de frontières et des négociations diplomatiques parfois très âpres. Les formalités douanières et les contrôles fastidieux ne facilitent pas le confort des voyages à travers l’Europe. Et, pour corser le tout, la France et la Prusse sont engagées dans une guerre qui entrave la circulation des personnes.

Les obstacles techniques

En Europe, le rail en et encore aux balbutiements. Bien sûr, chaque Etat possède son réseau ferroviaire et veille à l’étendre au mieux de ses intérêts. Mais chacun de ces réseaux possède des caractéristiques techniques qui lui sont propres, ce qui complique la traversée des frontières :

  • Ecartement des voies non standardisé et différent d’un pays à l’autre
  • Réglementations propres
  • Système de freinage distinct
  • Gabarit des wagons
  • Systèmes d’éclairage et de chauffage

Il convient donc de prévoir des voitures qui pourront être accrochées à différents trains et que les gouvernements seront susceptibles de laisser circuler sur leur territoire.

La mise en œuvre du projet

En 1870, Nagelmackers obtient une première concession l’autorisant à faire circuler une voiture d’Ostende à Brindisi en Italie. Mais les difficultés à vaincre sont encore très nombreuses …

G. Nagelmackers et W. Mann en 1872
G. Nagelmackers et W. Mann en 1872  

Par l’entremise de son père, Georges obtient l’appui du roi Léopold II très intéressé par tout projet à même de contribuer à la renommée de la Belgique. Il l’aidera notamment à obtenir un deuxième contrat lui permettant de faire circuler un sleeping-car sur la ligne Paris-Vienne, l’un des axes les plus fréquentés d’Europe. Le premier voyage connaît un succès immédiat.

En 1872, il fonde une société en commandite dénommée « Georges Nagelmackers et Cie - Compagnie Internationale de Wagons-Lits ». Il s’associe avec William d’Alton Mann qui lui apporte des capitaux et des idées. Quatre ans plus tard, il rachète les parts de M. Mann rentré aux Etats-Unis, et prend seul la direction de l’entreprise. Dans la foulée, il fonde la « Compagnie Internationale des Wagons-Lits » (CIWL) dont le logo comprend deux lions affrontés rappelant les armoiries de la famille royale belge. A ce moment, la compagnie dispose déjà de 53 voitures-lits destinées à être accouplées à un train « ordinaire ».

Ambitieux et perfectionniste, Georges Nagelmackers n’a pas l’intention de s’endormir sur ses lauriers ; il n’aura de cesse d’avoir couvert l’Europe entière de trains de rêve uniquement composés de voitures-lits et de voitures-restaurants. La première voiture-restaurant est d’ailleurs construite en 1882 et comprend deux salles à manger distinctes comptant chacune 12 places assises. Des voitures-salons feront, quant à elles, leur apparition en 1884 octroyant aux trains de M. Nagelmackers le cachet d’un confort complet.

L’Orient Express

Les voitures-lits connaissent un succès sans précédent et bientôt les compagnies ferroviaires se voient obligées de réclamer jusqu’à quatre wagons-lits à accrocher à leur matériel. Parallèlement, les dernières difficultés diplomatiques s’estompent et le moment semble venu de concrétiser le rêve de l’ingénieur liégeois : concevoir de véritables appartements sur rail composés de cabines individuelles, de wagons-restaurants, de voitures-salons et de fourgons assortis. Un tel train, mis à part la locomotive et le tender, lui appartiendrait !

L’aventure commence le 4 octobre 1883 à Paris. Derrière la locomotive et le tender, deux wagons-lits, un wagon-restaurant et deux fourgons à bagages vont prendre le départ. Destination : Constantinople dans l’Empire Ottoman, soit un périple de plus de 3.000 km. L’inauguration a lieu en grande pompe avec des personnalités du monde politique et ferroviaire ainsi que des journalistes et écrivains. Une foule élégante est également venue fêter l’événement sur le quai. Et, pour bien se différencier par rapport à son concurrent, Georges Nagelmackers n’a pu s’empêcher de prévoir un sleeping-car Pullman à proximité de son train de rêve …

Le premier Orient Express de 1883
Le premier Orient Express de 1883

Source : Wikipedia

Le train roule jour et nuit mais quelques derniers ajustements restent encore à faire. Ainsi, les voyageurs doivent descendre de machine à Bucarest et poursuivre leur voyage en empruntant un autre train et un navire pour atteindre le Bosphore. Tout rentrera cependant dans l’ordre en 1889 lorsque le trajet Paris-Constantinople sera effectué sans transbordement en quelque 68 heures.

 

Parcours de l'Orient Express de 1883 à 1914
Parcours de l'Orient Express de 1883 à 1914

Source : Wikipedia

L’Orient Express était entré dans la légende ! A sa suite, une série impressionnante d’autres trains de luxe verront le jour … C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’à partir de 1884, la CIWL modifie sa raison sociale en « Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens ».

Mais il manquait encore une cerise sur le gâteau. Non content de transporter les voyageurs dans des conditions optimales, Georges Nagelmackers s’est également soucié de leur confort une fois arrivés à destination. Il s’avéra, en effet, assez fréquent que les hôtels locaux n’étaient pas à la mesure des habitudes de vie des clients d’un train de luxe. Il fonde alors la « Compagnie Internationale des Grands Hôtels » parmi lesquels on trouve notamment le Pera Palace à Constantinople. La première chaîne hôtelière internationale venait de voir le jour !

L’Orient Express était entré dans la légende … et quelques années plus tard il entrera également dans l’Histoire. C’est, en effet, dans le wagon-restaurant 2419D qu’est signé, le 11 novembre 1918, l’armistice de la Première Guerre mondiale à Rethondes. En 1940, alors que la France vient de capituler au début de la Seconde Guerre mondiale, Hitler veut laver l’affront subi par l’Allemagne en 1918 : l’acte de capitulation sera signé dans le même wagon qui sera transporté, sans ses roues, jusqu’à Berlin en tant que trophée. A la fin de la guerre, il sera incendié sur ordre des SS. Il ne restera alors du wagon de l’armistice que quelques lettres de bronze et son logo !

Armistice de 1911 Transport vers Berlin Le wagon 2419D Logo de la CIWL
Armistice de 1911
Source : Wikipedia
Transport vers Berlin Le wagon 2419D Logo de la CIWL
Source : Wikipedia

 

Ils ont parlé de l’Orient Express

Plusieurs littérateurs ont utilisé l’Orient Express comme élément-clé de l’une ou l’autre de leurs intrigues. Ce fut notamment le cas pour :

  • Graham Greene dans ses romans « Orient Express » et « Voyages avec ma tante »
  • Guillaume Apollinaire dans un passage des « Onze mille verges »
  • Ian Fleming dans l’une des aventures de James Bond, « Bons baisers de Russie ».

Mais celles qui restera incontestablement dans toutes les mémoires est Agatha Christie avec son célèbre roman policier « Le crime de l’Orient Express » où son détective Hercule Poirot aura à résoudre une énigme d’autant plus haletante qu’elle se déroule en huis clos dans le train mythique bloqué par une tempête de neige.

 

Le Crime de l'Orient Express Valéry Larbaud
Le Crime de l'Orient Express  
Valéry Larbaud  
Source : wikipedia

 

Et puis, quoique moins internationalement connu, Valéry Larbaud, a dédié, sous le pseudonyme de O.A. Bamabooth, une très jolie ode au train de luxe qu’il avait emprunté à plusieurs reprises depuis son adolescence :

Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,
Ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée.
O train de luxe ! et l’angoissante musique
Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,
Tandis que derrière les portes laquées, aux loquets de cuivre lourd,
Dorment les millionnaires.

[…]

Prêtez-moi, ô Orient –Express, Sud-Brenner-Bahn, prêtez-moi
Vos miraculeux bruits sourds et
Vos vibrantes voix de chanterelle ;
Prêtez-moi la respiration légère et facile
Des locomotives hautes et minces, aux mouvements
Si aisés, les locomotives des rapides,
Précédant sans effort quatre wagons jaunes à lettres d’or
Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,

Et, plus loin, à travers la Bulgarie plein de rosés …

D’un château à l’autre

Le château de Villepreux
Le château de Villepreux  

En 1877, Georges Nagelmackers quitte la Belgique et le château familial d’Angleur et s’installe à Villepreux, à quelques kilomètres de Versailles. Il y a acquis une vaste propriété et fait construire un magnifique château. Comme le parc du château comprend une ancienne source abandonnée, il fait capter l’eau de la « Fontaine riante » et la commercialise, en bouteilles, à bord des wagons-lits. Businessman généreux, il laisse le libre accès à cette source aux habitants de la commune.

Incorrigible actif, écrasé de travail, Georges Nagelmackers s’éteint de fatigue à l’âge de 60 ans. Ses obsèques sont célébrées à Villepreux mais son corps sera transporté à Angleur pour être inhumé au cimetière de la Diguette, ancienne propriété des Nagelmackers qu’un autre Liégeois, Walthère Frère-Orban, avait fait racheter en 1864.

Les honneurs

Couvert de gloire, Georges Nagelmackers s’est vu décerner plusieurs titres et distinctions honorifiques au niveau international :

  • Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur (France)
  • Grand-officier d’Isabelle la Catholique (Espagne)
  • Croix de Saint-Michel (Bavière)
  • Croix de François-Joseph (Autriche-Hpngrie)
  • Croix du Christ (Portugal)
  • Croix de Saint-Stanislas (Russie)
  • Croix de Nichan Iftikar (Tunisie)
  • Grande-croix de Metsidié (Turquie)


Contexte historique :

Quelques célébrités belges