Les Belges, leur histoire ...

et celle de leur patrie, la Belgique

Les chartes et les privilèges

Chartes et privilèges


Alors qu’en Flandre la notion unitaire s’atténuait, la population du duché de Brabant conciliait ses aspirations individualistes avec une saine notion de l’intérêt collectif.

Le mouvement démocratique s’était manifesté plus tardivement en Brabant qu’en Flandre. Les villes y étaient encore petites et leurs intérêts ne s’opposaient pas violemment à ceux des campagnes, du clergé ou de la noblesse. La société brabançonne avait un aspect plus homogène que celle de la Flandre. De plus, elle était très attachée à la dynastie ; ses souverains associaient volontiers les intérêts du pays à ceux de leur famille.

Privilèges du Brabant
Codification écrite des privilèges   
accordés oralement

Source : Bruxelles, où est le temps

Est-ce à dire que l’évolution démocratique laissait à désirer en Brabant ? Non, bien sûr ! Elle fut aussi complète qu’en Flandre mais, tandis que dans le comté elle s’opérait par la violence et tournait à la démagogie, dans le duché, au contraire, elle fortifia l’esprit constitutionnel : plutôt que d’entamer des conflits épiques, les Brabançons surent agir en fins stratèges !

Il se trouvait que les ducs de Brabant aimaient le faste et la guerre. Ils avaient beau aliéner leurs domaines et engager leurs revenus, ils étaient toujours criblés de dettes. Leurs créanciers étrangers n’avaient d’autres solutions que de mettre sous séquestre les laines ou les draps appartenant à d’honorables marchands du duché afin de se dédommager.

Plusieurs fois, les opulents seigneurs, abbés et patriciens brabançons acceptèrent de payer les dettes de leurs ducs. En retour, quoiqu’au prix de marchandages et de transactions difficiles, ils obtinrent des actes écrits, protégeant le peuple entier contre l’arbitraire du prince ou de ses agents et accordant aux classes privilégiées une part de participation au gouvernement. Les ducs de Brabant concédèrent ainsi plusieurs chartes et privilèges.

La Charte de Cortenberg (1312)

Le duc Jean II, qui possédait une nature à la fois faible et violente, se vit contraint d’octroyer, à la fin de sa vie, la Charte de Cortenberg le 27 septembre 1312 :

  • Elle créait un Conseil de Brabant se réunissant toutes les 3 semaines à la résidence ducale. Le Conseil était composé de :
    • 4 seigneurs
    • 10 bourgeois
  • Ils étaient chargés de veiller au maintien et au respect des libertés et privilèges du pays.
  • Leurs décisions étaient sans appel et obligatoires pour le prince comme pour les Brabançons.

La Charte de Cortenberg eut une très grande importance. Son article 2 stipulait que tous les Brabançons, riches ou pauvres, seraient traités par loi et sentence, d’après les chartes existant déjà ou encore à publier. La législation et les règles de justice s’appliquaient à tout le duché. Le duc et ses fonctionnaires devaient jurer de maintenir les principes susdits.

Bien plus, si le duc contrevenait aux ordonnances du Conseil, on ne lui devrait plus aucun service jusqu’au moment où il aurait réparé ses torts. Si quelque particulier contrevenait à la charte, il serait considéré comme hors la loi.

Charte de l'union des villes du Brabant
Charte de l’union des villes et des franchises du Brabant garantissant l’application de la Charte de Cortenberg. 
Le parchemin est pourvu des sceaux des 27 villes signataires

Source : Bruxelles, où est le temps, p. 11

Les Chartes Romanes (1314)

Lorsque Jean III monta sur le trône en 1312, il n’avait encore que 12 ans. Il s’entoura de mauvais conseillers et négligea quelque peu les stipulations de la Charte de Cortenberg.

En 1313, Bruxelles et Louvain commencèrent par se liguer pour la défense mutuelle de leurs privilèges. Peu après, comme le duc, accablé par les dettes de son père et de son grand-père, demandait à ses sujets des secours extraordinaires, la noblesse, les abbayes et les bonnes villes consentirent à de nouveaux sacrifices pécuniaires mais en échanges des Chartes Romanes du 14 juillet 1314, augmentant ainsi l’influence du Conseil sur le gouvernement et les finances.

Ces 2 actes plaçaient le prince sous curatelle :

  • Il ne pouvait plus disposer de ses biens sans le consentement des représentants du pays.
  • Ses receveurs et officiers de justice étaient responsables de leur gestion devant les députés du clergé, des seigneurs et des bonnes villes.

La Bulle d’Or (1349)

Sceau de la Bulle d'Or
Sceau de la  Bulle d’Or 

Egalement sous Jean III, l’indépendance brabançonne reçut une nouvelle consécration par la Bulle d’Or que l’empereur Charles IV accorda en 1349 :

  • Les sujets brabançons et limbourgeois furent soustraits à la justice d’Empire qui ne put jamais plus se saisir de leurs personnes ni de leurs biens, même en Allemagne.
  • Ils ne relevaient plus que de leurs juges et de leurs coutumes.

La Bulle d’Or tire son nom de la forme du document original, scellé par une Bulle en or métallique.

La Joyeuse Entrée (1356)

Après Jean III, le règne de Jeanne et de Wenceslas allait assurer au Brabant la protection de l’empereur Charles IV. Néanmoins, l’avènement d’un étranger alarma les villes brabançonnes qui venaient de former une ligue pour s’opposer à un démembrement éventuel de la principauté et pour garantir leurs privilèges. Elles imposèrent à Wenceslas l’acceptation d’un acte célèbre : la Joyeuse Entrée du 3 janvier 1356.

Charte de la Joyeuse Entrée
Charte de la Joyeuse Entrée 

Source : La Belgique, histoire et culture

Cette charte fut le pacte fondamental qui servit de base au droit public brabançon jusqu’à la chute de l’Ancien Régime à la fin du 18e siècle. Elle symbolise l’ensemble des libertés belges car, s’il est vrai que dans chacune de nos provinces, les souverains avaient pris l’habitude de prêter serment de fidélité aux privilèges, coutumes et bons usages du pays lors de leur inauguration, dans aucune des provinces (sauf dans la principauté de Liège), ces diverses lois n’étaient condensées en un seul acte comme en Brabant.

La Joyeuse Entrée était un document long, touffu, sans méthode, où il était question de chasse, d’énigmatiques chiens « à pieds raccourcis » (mutilations imposées aux chiens des tenanciers pour juguler la chasse clandestine sur les terres du seigneur) et d’autres objets secondaires. Comme elle avait pour but d’assurer aux Brabançons des garanties contre le despotisme du prince ou de ses officiers qui étaient désormais rendus responsables de leurs actes, elle était rédigée sous forme négative et limitative.

La Joyeuse entrée prévoyait :

  • L’indivisibilité du duché, évitant ainsi un démembrement du territoire entre les héritiers
  • Le partage du pouvoir entre le prince et le pays
  • Les emplois publics étaient accessibles aux seuls Brabançons.
  • Aucun Brabançon ne pouvait être cité devant un tribunal étranger au duché.
  • Pour toute alliance, déclaration de guerre, cession de territoire, traité de commerce, le duc devait avoir le consentement du « pays », c’est-à-dire des 3 ordres : les nobles, le clergé et le tiers (délégués des villes)
  • Garantie, pour les Brabançons de bénéficier de la justice par droit et sentence
  • Tous les sujets étaient égaux devant la loi mais celle-ci restait appliquée par quantité de tribunaux divers selon les usages en cours au Moyen Age.
  • Garantie des grands droits individuels :
    • Liberté personnelle
    • Inviolabilité du domicile
  • Les 3 ordres votent, en toute indépendance, les impôts, la frappe des monnaies et jouissaient de prérogatives qui leur donnaient en fait l’administration générale du duché.
  • Droit de révolte contre le prince dans l’éventualité où celui-ci violerait ses engagements.
  • La Joyeuse Entrée sera renouvelée à l’inauguration de chaque nouveau duc.

Les lignages devinrent les vrais maîtres du pays. Wenceslas en fut fort humilié et leur garda une profonde rancune.

Lignages bruxellois
Vitrail représentant les armes des lignages bruxellois

Source : Bruxelles, où est le temps, p. 445

Comté de Louvain et duché de Brabant