Les villes flamandes
Nous avons examiné, dans le chapitre consacré à l’Essor des Villes au Moyen Age, comment les villes s’étaient développées, avaient vu en leur sein l’émergence de gildes et de corporations annonçant peu à peu une lutte des classes suite à la mainmise d’un patriciat dominant à outrance.
La Flandre n’échappe pas à ce scenario !
Les villes flamandes et leurs spécialités
L’industrie drapière flamande prit son essor à la fin du 11e siècle. Grâce à leur technique impeccable, Gand et Ypres fabriquaient des draps renommés à l’étranger pour leur solidité, leur couleur et leur finesse. Ces beaux tissus flamands se fabriquaient avec des laines anglaises que les gildes de riches marchands s’occupaient d’acheter à des conditions favorables.
L’admirable prospérité de la Flandre fut portée à son point culminant par l’épanouissement du port de Bruges en communication avec l’estuaire du Zwin et, par des canaux, avec les villes de Gand, Damme et L’Ecluse. Grâce à sa situation, Bruges devint le grand entrepôt du commerce européen et fut surnommée la « Venise du Nord ». Les marchés se traitaient dans la ville même ; les marchandises étaient débarquées, échangées, embarquées comme fret de retour notamment dans les avant-ports de Damme et de L’Ecluse.
Voici, à titre d’exemple, quelques marchandises qui transitaient par Bruges :
- A tout seigneur tout honneur : les draps des villes de Flandre
- La laine des Anglais
- Des poissons fumés et salés ainsi que des bois flottés étaient amenés par les Scandinaves
- De l’ambre et des fourrures provenaient de Russie
- Des vins, des fruits, du sel de la côte atlantique, des huiles, des laines et du fer provenaient d’Espagne et du Portugal
- Des draps d’or étaient amenés par les Lombards, les Pisans et les Florentins
- Quant aux Vénitiens et aux Génois, grands voyageurs, ils nous apportaient des soieries, de l’alun, des métaux précieux, des épices, des parfums et des animaux exotiques qu’ils avaient achetés aux Arabes, Indous, Malais et Chinois.
Bruges, place commerciale importante Source : Mémento historique, dossier 2 |
Le port de Bruges Source : Nos Gloires – J-L Huens |
Les changeurs de monnaies Source : Encyclopédie Alpha, p. 1242 |
Tous ces négociants et courtiers, provenant de 32 nations différentes, jouissaient d’une indépendance complète et possédaient leurs propres comptoirs.
Le caractère cosmopolite du port de Bruges s’accentua encore par la création d’une quantité de bureaux de change, puis de banques, où les financiers lombards et languedociens exercèrent une industrie très lucrative.
Enfin, la foire de Thourout était la plus fréquentée, non seulement de la Flandre, mais également de l’ensemble des principautés belges. Les foires d’Ypres et, bien sûr, de Bruges étaient également renommées.
Les privilèges
Dès qu’une ville prenait de l’importance, elle tendait à s’assurer un privilège d’étape, ou droit de recevoir seule certaines denrées ou produits manufacturés, de les entreposer, puis d’en faire la distribution ailleurs.
- Bruges a acquis l’étape des laines anglaises
- Gand a acquis l’étape des blés
- Damme d’abord, Middelburg ensuite, auront le monopole d’achat et de vente des vins de France
Charte
Source : Nos Gloires – J-L Huens
Une fois ce stade franchi, les villes de Flandre commencèrent à formuler des revendications politiques. La résistance des comtes à ces empiètements sur leurs droits fut souvent vive et engendra des révoltes, notamment sous les comtes de la Maison d’Alsace. Mais peu à peu, les grandes villes flamandes acquirent des chartes, dont l’ensemble constitue la keure, documents rédigés sur parchemin et couvert de sceaux qu’elles enfermèrent dans des « coffres à privilèges », à 7 ou 8 serrures. Ces chartes leurs donnaient les avantages suivants :
- Droit de s’administrer elles-mêmes par des collèges d’échevins élus par les bourgeois de la ville
- L’échevinage, appelé « de Wet» (la Loi), avait le droit :
- De faire des lois
- D’établir des règlements
- De procéder aux nominations des fonctionnaires
- De rendre la justice.
Parfois l’administration était laissée aux mains de conseillers (les consaux) et de jurés
- La ville déterminait elle-même ses impôts:
- Accises,
- Octrois,
- Impôts directs
- La ville avait le droit de se défendre, donc
- De s’entourer de murailles,
- De former et d’entretenir des milices
- De conclure des alliances
- Elle pouvait, comme preuve de sa puissance avoir :
- Un hôtel de ville,
- Un beffroi,
- Une cloche banale
- Un sceau aux armes de la ville.
Murailles | Milice | Beffroi de Bruges | Sceau de la ville de Nieuport |
Le despotisme des gildes
Les gildes possédaient un personnel important : gouverneurs, jurés, greffiers, receveurs, … Elles étaient extrêmement puissantes et exerçaient sur le commerce une véritable tyrannie économique en déterminant des prix de vente sans concurrence possible.
Lorsque les villes acquirent des droits politiques, ce furent naturellement les riches marchands et ex-marchands devenus propriétaires fonciers qui s’emparèrent de la direction des affaires. Ils occupèrent l’échevinage et ajoutèrent à leurs monopoles commerciaux un rigide despotisme politique. Cette classe dominante flamande de patriciens porte le nom de poorters (dérivé de « portus », un entrepôt commercial).
Les patriciens étaient fiers de leur ville et défendaient ses intérêts dans chacune de leurs réunions avec le comte qui les soutenait pleinement puisqu’ils lui attribuaient des subventions importantes. Ils gouvernaient sans tolérer que l’on contrôle leur gestion et se permettaient les pires violences.
Face aux gildes : les corporations
Le peuple s’était regroupé en corps de métiers : les corporations, véritables instruments de lutte sociale. Elles comprenaient :
- Les petits métiers:
- Boulangers
- Bouchers
- Selliers
- Armuriers
- etc.
- Les grands métiers:
- Tisserands,
- Foulons
- Teinturiers.
Tisserand Foulons Teinturiers
Ils étaient soumis à des règlements rigoureux et dépendaient des matières premières que seule la gilde pouvait leur fournir. La fabrication du drap s’effectuait en plusieurs étapes et nécessitait l’intervention de plusieurs métiers :- La laine, importée d’Angleterre, était d’abord lavée et étirée, puis peignée
- La filature se faisait au rouet
- Les tisserands utilisaient un métier en bois pour le tissage du drap
- Les foulons resserraient les fibres et donnaient du moelleux au tissu avant de le confier aux teinturiers qui le traitaient avec divers colorants coûteux.
La gilde fixait les conditions de travail, les procédés de fabrication et le chiffre des salaires. Elle exigeait un travail parfait et accablait patrons et ouvriers de sarcasmes, de menaces et d’amendes.
Ils vivaient en contact direct avec le client.
Vers une plus grande justice sociale
La dictature de la gilde ne tarda pas à mécontenter les gens des métiers. Dégoutés par les abus de position dominante, ils voulurent imposer leurs délégués dans les conseils municipaux et contrôler ainsi les finances des villes dans l’espoir d’améliorer les salaires.
D’importantes émeutes éclatèrent vers 1280. Elles entraînèrent
- L’incendie des maisons de nombreux bourgeois à Bruges et à Ypres.
- La disparition des chartes de Bruges dans l’incendie du beffroi
Le comte Gui de Dampierre, excédé par l’hostilité des patriciens, refusa de renouveler les chartes disparues. Par contre, il accéda à la demande des corporations et fit représenter les artisans dans les échevinages.
Les marchands de Bruges n’étaient pas au bout de leurs surprises. Nous avons vu qu’ils détenaient l’exclusivité de l’importation de la laine anglaise. Or, Edouard 1er, roi d’Angleterre, prit la décision de faire affaire directement avec les tisserands de Bruges. Les patriciens firent alors appel à Philippe le Bel, leur suzerain, pour les aider à rétablir leur position dominante et monopolistique. Il s’ensuivit la formation de 2 partis en Flandre :
- Les Leliaerts (faisant référence au lys des armoiries du roi de France) regroupant les grands seigneurs et les riches bourgeois
- Les Klauwaerts (faisant référence aux griffes du lion de Flandre) composés de petits bourgeois et de gens des métiers soutenus par le comte de Flandre.
Gui de Dampierre Source : Nos Gloires – J-L Huens |
Leliaerts et Klauwaerts Source : Nos Gloires – J-L Huens |
Nous verrons plus loin comment les uns et les autres ont joué un rôle dans les Mâtines Brugeoises et la Bataille des Eperons d’Or. On peut néanmoins dire que la révolution, partie de Bruges, gagna toute la Flandre maritime. Partout, les classes populaires relevaient la tête et chassaient les Leliaerts du pouvoir. Même à Gand, les échevinages furent renversés et leurs biens confisqués.