Les Belges, leur histoire ...

et celle de leur patrie, la Belgique

Révoltes et conflits


Il était inévitable que le riche comté de Flandre allait engendrer les convoitises des grandes puissances tantôt pour y asseoir leur autorité, tantôt pour s’en faire un allié au détriment d’une partie adverse. D’autre part, la masse populaire était désireuse de se défaire du joug du patriciat. Le mécontentement commençait à gronder et des passes d’armes se préparaient !

Il serait lassant de s’attarder sur toutes les attaques qui ont agrandi ou rétréci le territoire de la Flandre. A l’époque, on guerroyait facilement et la liste des victoires et des défaites occulterait l’essentiel. Préoccupons nous plutôt des faits les plus marquants.

La France et l’Angleterre : une histoire de haine réciproque

Près d’un siècle après que Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et vassal du roi de France, avait conquis la couronne d’Angleterre, Aliénor d’Aquitaine avait épousé Henri  Plantagenêt qui, après une lutte avec son cousin anglais, avait ajouté l’Angleterre à ses vastes possessions françaises. Dès ce moment, Henri II et Aliénor, souverains d’Angleterre, étaient devenus les vassaux les plus puissants du roi de France et possèdaient près de la moitié du royaume.

La France en 1180
Le royaume de France en 1180

Source : Le Moyen âge, cycle 3, p. 46

Cette situation inconfortable pour le suzerain français est à l’origine du sempiternel conflit qui va opposer, durant des siècles, la France et l’Angleterre. A partir de Philippe-Auguste, les rois de France s’attèleront à démanteler partiellement les possessions anglaises en France. A son corps défendant, la Flandre se trouvera associée à ce conflit car :

  • La France était son suzerain et pouvait faire appel à son aide militaire
  • L’Angleterre lui fournissait les laines indispensables à sa prospérité économique.

Si, dans un premier temps, l’alliance entre l’Angleterre et la Flandre était justifiée par un souci de faire front commun en tant que vassal du roi de France, petit à petit la politique d’expansion des Capétiens non seulement dans l’Ouest de la Flandre mais également sur l’ensemble du terrain flamand, va mettre l’Angleterre face à un problème politique et économique important. En effet, la Flandre était située à l’embouchure des grands fleuves propices au commerce international. Or, ces fleuves font face à l’estuaire de la Tamise et doivent donc, aux yeux des Anglais, rester indépendants à l’égard de la France, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas servir de base à des opérations militaires ou navales contre le royaume d’Angleterre.

Ainsi tiraillée, la Flandre va pratiquer une politique de bascule en fonction de ses intérêts majeurs du moment avec, à la clé, des représailles de la part de la partie laissée pour compte.

Bouvines, victoire de Philippe-Auguste

Nous avons déjà évoqué comment, pour juguler plus sûrement la Flandre, Philippe-Auguste donna Jeanne de Constantinople en mariage à Ferrand de Portugal, prince qu’il imaginait sans volonté et qu’il avait, en quelque sorte, sélectionné pour son manque d’attache à la Flandre et au Hainaut. Mais Ferrand, contre toute attente, réagit promptement en prince flamand, rompit avec le roi de France et appela à son secours le roi d’Angleterre, Jean sans Terre.

Les premiers mois de l’alliance anglo-flamande furent des plus heureux et la flotte française subit une cuisante défaite navale. Mais cet échec fut vengé à Bouvines et Ferrand fut fait prisonnier pendant de longues années.

1302 : une grande année !

Le visage social de la Flandre s’était profondément modifié :

  • La grande prospérité de l’industrie drapière avait donné naissance à une classe dirigeante nouvelle : le patriciat qui s’octroya d’inadmissibles monopoles commerciaux, exploita bassement les ouvriers et s’empara de tous les leviers de commande politiques
  • La plèbe urbaine, constituée d’ouvriers et d’artisans groupés en corporations, végétait dans la misère. Elle était pressurée de lourds impôts et menacée de mort ou de bannissement sous le moindre prétexte.

De violentes révoltes partirent de Bruges et se propagèrent dans diverses villes de Flandre. Le comte de Flandre prit résolument le parti du commun contre celui des patriciens qui appelèrent Philippe le Bel au secours.

Les Mâtines brugeoises

Philippe le Bel avait imposé un gouverneur, Jacques de Châtillon, homme de guerre rude qui ignorait tout des problèmes sociaux et économiques de la Flandre. Il se posa en véritable dictateur.

Un tribun populaire, Pierre de Coninck, doyen des tisserands de Bruges, devint l’âme de la résistance. A lui se joignirent le comte de Namur et son frère ainsi que le comte de Juliers.

A l’aube du 18 mai 1302, alors que les hommes d’armes du roi dormaient encore dans la ville de Bruges, les Klauwaerts

  • Tuèrent les sentinelles,
  • S’emparèrent des portes de la ville
  • Se livrèrent, dans la pénombre, au massacre de tous ceux qui ne pouvaient prononcer correctement « schild en vriend » (bouclier et ami). On égorgea les uns dans leur lit, on traqua les autres dans les ruelles étroites.

Jacques de Châtillon Mâtines brugeoises
Jacques de Châtillon  
Source : Nos Gloires – J-L Huens
Mâtines brugeoises  
Source : Nos Gloires – J-L Huens


Jacques de Châtillon échappa de justesse à la mort et s’enfuit en toute hâte.

Les Mâtines brugeoises étaient un succès et la cause du roi de France était bien compromise. Philippe le Bel crut cependant pouvoir châtier rapidement les rebelles et reconquérir la Flandre qui lui échappait.

La Bataille des Eperons d’or

Philippe le Bel constitua promptement une armée à la tête de laquelle il plaça l’élite de la chevalerie de l’Europe. Parmi celle-ci figurait

  • Jean 1er d’Avesnes qui obéissait à de vieilles rancunes d’héritage
  • Toute l’aristocratie de Flandre, les Leliaerts.

Les Flamands étaient 20.000 environ, soit 2 fois moins nombreux que leurs adversaires. Leur armée était composée

  • d’une vingtaine de chevaliers flamands et namurois
  • pour le reste, elle ne comprenait que des milices communales et des manants.

Au matin du 11 juillet 1302, elle attendait de pied ferme ses adversaires dans la plaine de Groeninghe, près de Courtrai. C’était une position marécageuse favorable.

La bataille fut engagée par les arbalétriers génois mais la chevalerie française, impatiente d’entrer en scène, compromit la situation par une charge prématurée. Mêlée aux Italiens qui reculaient en désordre et se disaient trahis, elle ne put rompre les lignes flamandes et vit bientôt déferler sur elle la masse des gens des communes.

Les métiers ne firent pas de quartier. Au cri de « Vlaanderen en de leeuw » (la Flandre et le lion), ils massacrèrent 75 chefs de grandes maisons nobles et des centaines de chevaliers à l’aide de leurs piques et de leurs « goedendags » (bâtons à pointes ferrées). Le soir du 11 juillet 1302, l’armée de Philippe le Bel n’existait plus. Les vainqueurs recueillirent sur le champ de bataille 500 éperons d’or et en firent des trophées de la victoire.

Goedendag Bataille des Eperons d'or
Le “goedendag” Bataille des Eperons d’Or 
Source : Nos Gloires – J-L Huens

Suprématie des métiers

Après la Bataille des Eperons d’Or, il fallut admettre les revendications des métiers. Elles équivalaient à une véritable révolution sociale.

Sous l’impulsion de la weverie, c’est-à-dire de la corporation des tisserands :

  • Les odieuses réglementations du travail imposées par le patriciat furent supprimées.
  • Il fut mis fin au monopole commercial des gildes
  • La liberté des professions fut établie.

Ceci signifiait que désormais tisserands, foulons et teinturiers pouvaient, comme les autres corporations :

  • Se procurer les matières premières,
  • Avoir leurs locaux,
  • Se procurer des outils,
  • Vendre eux-mêmes leurs draps à l’étranger.

La poorterie avait, d’autre part, été exclue des échevinages. Pour avoir accès aux fonctions publiques, il fallait au préalable être inscrit sur les registres d’un métier. Toutefois, lorsque Robert de Béthune revint au pouvoir, il resta fidèle à son rôle de médiateur et fit rentrer un certain nombre de patriciens dans les échevinages …

Le soulèvement de la Flandre maritime

Après la Bataille des Eperons d’Or, les Flamands eurent à affronter une nouvelle fois les Français mais ne réussirent pas à s’imposer. Par le Traité de Paris, ils furent condamnés à payer de lourdes amendes.

La population de la Flandre maritime était rude et de mœurs peu commodes. On les appelait les Kerels. Ils s’étaient groupés en corporations territoriales autonomes et vivaient en désaccord avec la noblesse régionale qui cherchait à les opprimer au sein des échevinages. Les choses se gâtèrent lorsque les autorités comtales voulurent imposer aux kerels leur quote-part des amendes françaises.

Les Kerels Louis de Nevers
Les Kerels 
Source : Nos Gloires – J-L Huens
Louis de Nevers 
Source : Nos Gloires – J-L Huens


De son côté, Bruges se montra mécontente de ce que Louis de Nevers, devenu comte de Flandre et proche du roi de France Philippe V, avait cédé la seigneurie de l’Ecluse à son grand-oncle, Jean de Namur devenu entre-temps un adversaire des communes flamandes.

Bruges prit la direction du mouvement insurrectionnel et la révolution gagna bientôt toute la Flandre, sauf Gand qui était dominée par son patriciat. Malheureusement, des extrémistes établirent un régime de terreur transformant l’émeute en révolution sociale et anticléricale, n’hésitant pas à ridiculiser le nouveau roi de France Philippe VI de Valois. La Bataille de Cassel fut un désastre pour les Flamands et la répression fut impitoyable : les campagnes perdirent leurs franchises et furent écrasées sous le poids des amendes. Bruges et Ypres durent démolir leurs murailles.

Jacques Van Artevelde

La Flandre connut quelques années de calme avant d’être mêlée à la Guerre de Cent Ans. Quoique l’intérêt de la Flandre était de rester neutre, son comte, Louis de Nevers désirait absolument rester fidèle à son suzerain, le roi de France. Il ordonna dès lors de cesser tout commerce avec l’Angleterre qui, par représailles, interdit l’exportation des laines anglaises vers la Flandre.

Jacques Van Artevelde
Jacques Van Artevelde 

Source : Nos Gloires – J-L Huens

Gand, tenue à l’écart des luttes antérieures par la poorterie leliaerde, était à l’apogée de sa puissance. Mais le prolétariat y était très malheureux. En 1337, il se révolta et créa un gouvernement composé de

  • « Hoofdmannen », ou chefs des milices des 5 paroisses de la ville
  • 3 doyens issus des métiers

Ce n’était pas un pouvoir démocratique exclusif puisque les échevins patriciens conservaient leurs fonctions et que 3 hoofdmannen appartenaient aux lignages. Mais la puissante corporation des tisserands accédait enfin aux fonctions publiques.

A la tête des révoltés figurait Jacques Van Artevelde. Il séduisait les masses par son éloquence et son bon sens ; ses vues politiques étaient conformes aux intérêts de la Flandre. Van Artevelde réconcilia la Flandre avec l’Angleterre et su amener les 2 monarques rivaux à reconnaître la neutralité de la Flandre.

Reconnaissante pour les résultats rapides et heureux de sa politique, la population avait voué un culte à Jacques Van Artevelde. Il fit nommer un ruwaert du comté mais en réalité ce fut lui-même qui exerça la dictature, avec l’aide de sa femme Catherine de Coster qui accomplit avec succès plusieurs missions diplomatiques en Angleterre.

La politique de Jacques Van Artevelde

Van Artevelde encouragea le rapprochement entre les 3 grandes villes de Flandre :

  • Gand,
  • Bruges
  • Ypres.

En dépit de leurs jalousies mutuelles, ces villes constituaient les Trois Membres de Flandre, à la base de la prospérité du pays. Les Trois Membres dominèrent la noblesse, le clergé, les petites villes et les campagnes. Eux-mêmes furent dominés par Gand et Gand par Van Artevelde.

Jacques Van Artevelde chez Edouard III
Jacques Van Artevelde chez Edouard III  

Source : Nos Gloires – J-L Huens

La politique de Van Artevelde ne s’arrêta pas aux frontières du comté. Il poursuivait un double but, profitable aux intérêts du pays :

  1. Unir les Etats du Lothier et la Flandre
  2. Associer la prospérité des Pays-Bas ainsi créés à la prospérité de l’Angleterre.

En 1339, il signait avec les duchés unis de Brabant et de Limbourg, une convention stipulant entre les contractants :

  • Une alliance militaire défensive (en principe surtout dirigée contre la France)
  • La liberté du commerce, surtout par abaissement des barrières douanières
  • L’unification monétaire
  • Un traité d’arbitrage pour régler d’éventuels conflits.

Les comtés unis de Hainaut, de Hollande et de Zélande adhérèrent également à ce traité, lequel fut complété par un accord économique entre les Etats contractants et l’Angleterre.

Van Artevelde persuada ensuite Edouard III à prendre, par anticipation, le titre de roi de France et les Trois Membres de Flandre prêtèrent serment de fidélité à leur nouveau souverain. Ensuite, Edouard III transféra l’étape des laines d’Anvers à Bruges.

De nouvelles émeutes éclatent

Les Trois Membres tyrannisaient la Flandre. A Gand, tisserands et foulons, coalisés pour combattre les patriciens et les petits métiers, s’entre-déchiraient au moindre conflit. Des grèves éclatèrent.

Pour une question de salaire, il y eut sur le marché du lundi un grand massacre de foulons par les tisserands (Quaeden Maendagh – le Mauvais Lundi). Van Artevelde avait favorisé les aspirations légitimes des tisserands, mais il voulait la coopération des classes sociales. Il ne savait comment arrêter les insolents progrès de la weverie.

Ce fut dans ce milieu que l’on conspira contre sa vie. Une faction composée de tisserands, de chômeurs et de méchantes gens entama une campagne virulente accusant Van Artevelde de dilapidations, de tyrannie et prétendant qu’il voulait livrer sa patrie aux Anglais. Il fut poignardé alors qu’il revenait d’une entrevue avec Edouard III.

Louis de Maele et la lutte contre le prolétariat urbain

Louis de Maele
Louis de Maele 

Source : Nos Gloires – J-L Huens

Avec l’aide de Jean III, duc de Brabant, Louis de Maele assiège Gand. Le despotisme de la weverie avait provoqué un tel mécontentement que le jeune comte obtint sans peine le concours du plat-pays et des petites villes. Décimés par la peste noire de 1348 et par la famine, les farouches tisserands n’en résistèrent pas moins avec héroïsme. Le 13 janvier 1349, quelques émigrés pénétrèrent dans la ville et, avec l’aide des petits métiers et des foulons qui n’avaient pas oublié le Mauvais Lundi de 1345, firent un grand massacre de tisserands sur le marché du vendredi.

Louis de Maele obtint une soumission générale. Il laissa aux villes leurs privilèges mais agit contre les tisserands avec une si grande rigueur que beaucoup d’entre eux émigrèrent vers l’Angleterre.

Après la défection de la weverie qui était la seule à être restée fidèle à l’alliance anglaise, Louis de Maele ramena la Flandre à la neutralité.

Les Chaperons Blancs et la guerre sociale en Flandre

A la fin de son règne, Louis de Maele dut à nouveau faire face à de redoutables problèmes sociaux. La crise éclata à la suite d’un incident assez secondaire. Louis de Maele avait autorisé les Brugeois à relier par un canal leur ville à Deinze sur la Lys. Redoutant le transfert de l’étape du blé à Bruges, des bateliers gantois allèrent massacrer les terrassiers employés aux travaux du canal. Profitant du tumulte provoqué par les événements, les tisserands, affublés d’un chaperon blanc comme signe de ralliement, s’emparèrent du pouvoir à Gand, puis dans l’ensemble de la Flandre flamingante.

Philippe le Hardi et ses soldats
Philippe le Hardi et ses soldats 

Source : Les ducs de Bourgogne, p. 36

Cinq années de lutte acharnée opposèrent :

  • Les Chaperons Blancs et leurs alliés : des tisserands brabançons, des démocrates liégeois et le roi d’Angleterre
  • Les bourgeois flamands, poissonniers et bouchers qui s’étaient rangés du côté de Louis de Maele et de la noblesse auxquels s’étaient joints le comte de Hainaut-Hollande-Frise, le prince-évêque de Liège et le duc de Brabant.

Les Chaperons Blancs furent assiégés dans leur ville et réduits à la famine. Dans ce péril pressant, ils firent appel à Philippe Van Artevelde, fils de Jacques, qui profita traitreusement de la procession du Saint-Sang pour attaquer les Brugeois et les battre.

La bataille finale eut lieu près de West-Roosebeke. Les tisserands furent taillés en pièces et Philippe Van Artevelde y perdit la vie. Malgré ce désastre, Gand s’obstina et le comte poursuivit la lutte, pour s’y épuiser et mourir en janvier 1384. Son gendre, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, ne voulut pas poursuivre une guerre d’usure contre les Gantois et préféra négocier une paix qui accordait l’amnistie aux insurgés ainsi que le maintien de tous leurs privilèges.

Une nouvelle dynastie s’annonçait maintenant …

Comté de Flandre du 9e au 14e siècle