Marguerite de Parme (1559-1567)
Marguerite de Parme
Source : Histoire de la Belgique
(G-H Dumont), p. 215
Avant son départ, Philippe II avait choisi comme gouvernante des Pays-Bas sa demi-sœur, Marguerite de Parme, née d’une liaison passagère de Charles Quint avec une bourgeoise d’Audenarde. Elevée en Italie avec le plus grand soin, elle avait été mariée sur ordre de son père au duc de Parme, Octave Farnèse. Marguerite ne parlait correctement que l’italien …
Elle n’avait pas l’éclatant mérite des gouvernantes qui l’avaient précédée, mais Philippe appréciait sa foi rigide et son entier dévouement à la cause royale. Tout en lui permettant de mener un train de vie mondain, il avait pris soin de la réduire au rôle d’agent d’exécution par des instructions confidentielles. Pour toutes les résolutions importantes, elle devait au préalable recueillir l’avis d’un conseil politique secret : la Consulta composée de 3 personnes totalement soumises aux ordres du roi :
- L’évêque d’Arras Granvelle : c’est lui qui était en fait à la tête du pouvoir ; il correspondait presque quotidiennement avec Philippe II
- Viglius : chef-président du Conseil Privé et président du Conseil d’Etat
- Charles de Berlaimont : président du Conseil des Finances
Granvelle Source : La Belgique, histoire et culture, p. 111 |
Viglius Source : Wikipedia |
Philippe II décida :
- De maintenir les 3 conseils collatéraux (Conseil d’Etat, Conseil Privé et Conseil des Finances) mais les plaça sous la dépendance de la Consulta.
- Par ailleurs, il renouvela les placards de Charles Quint et donna l’ordre de les appliquer avec la plus grande rigueur.
- Enfin, afin de pouvoir étouffer la moindre révolte, il maintint des troupes espagnoles dans le pays.
Un climat d’opposition s’installe …
Ces premières mesures royales n’ont pas l’heur de plaire aux Belges car chacun y trouve un frein à ses privilèges et à sa liberté.
L’opposition de la noblesse
L’existence de la Consulta rendait l’indépendance des travaux du Conseil d’Etat illusoire puisque ses travaux ne purent jouir de la confidentialité et étaient immédiatement rapportés au souverain. Il se forma donc, au sein du Conseil d’Etat, une opposition très vive contre les membres qui jouaient un double rôle. Cette opposition comprit également 3 dirigeants :
- Guillaume de Nassau, prince d’Orange, dit Guillaume le Taciturne : à la tête de domaines immenses éparpillés dans toute l’Europe. Gouverneur des provinces de Hollande, de Zélande et d’Utrecht, il était indépendant vis-à-vis de Philippe II. Son influence aux Pays-Bas était considérable.
- Le comte d’Egmont : brillant général de cavalerie, gouverneur de la Flandre et de l’Artois, il était impulsif et honnête. Il était le père de 13 enfants !
- Le comte de Hornes : grand amiral des mers de Flandre, Hornes était suspect à Philippe II qui le ruinait en lui confiant des charges trop lourdes pour ses moyens. Hornes en avait accumulé de profondes rancunes à l’égard du roi.
Guillaume le Taciturne Source : La Belgique, histoire et culture, p. 104 |
Le comte d’Egmont Source : Histoire illustrée de la Belgique, p. 95 |
Le comte de Hornes Source : Histoire de la Belgique (G-H Dumont), p. 224 |
Ces trois grands seigneurs bénéficiaient de l’appui de l’ensemble de la noblesse des Pays-Bas qui, très attachée aux privilèges, craignait qu’une « espagnolisation » des institutions ne l’écarte de la direction des affaires publiques et militaires.
L’opposition du clergé
Dans une moindre mesure que la noblesse, le clergé entra, lui aussi, dans l’opposition.
Il faut savoir que depuis le 7e siècle, l’organisation religieuse des Pays-Bas comprenait 6 évêchés. Or, en 1559, Philippe II créa 14 nouveaux diocèses dont 3 furent élevés au rang d’archevêchés. L’ensemble des Pays-Bas fut placé sous la dépendance de l’archevêque de Malines.
A première vue, cette réforme ne paraissait pas inquiétante. Mais, alors que les anciens évêques étaient nommés par leurs chapitres, les nouveaux l’étaient par le roi. Plusieurs d’entre eux étaient d’anciens inquisiteurs, des théologiens agents du despotisme. Ils frustraient les grands abbés de leur représentation privilégiée dans les Etats car les abbayes devaient fournir de royales prébendes. Et, cerise sur le gâteau, Granvelle avait été désigné comme primat des Pays-Bas et siégeait, en tant qu’abbé d’Affligem dans le Conseil de Brabant !
Mécontentement du peuple
Le peuple s’irritait des délais apportés au départ des troupes espagnoles. Des bagarres éclataient dans les cabarets entre les soldats et la foule.
Les seigneurs prennent la tête de l’opposition
Au nom des privilèges menacés, Orange, Egmont et Hornes, soutenus par l’opinion publique, refusèrent de siéger au Conseil d’Etat (1563) jusqu’à ce que Philippe II n’ait pas rappelé Granvelle. Après de longues hésitations, le roi invita son ministre à « s’absenter quelques jours pour aller voir sa vieille mère ». Granvelle obéit croyant revenir bientôt mais le roi préféra lui confier d’autres missions.
Force était de constater que, d’année en année, le nombre de protestants augmentait ; les faire périr tous aurait équivalu à une décimation de la population ! Inquiet de l’émigration des réformés vers l’Angleterre, le Conseil d’Etat envoya le comte d’Egmont en Espagne pour supplier le roi de ne plus appliquer les placards que dans des cas restreints et avec modération. La mission se solda par un échec ; le roi exigea une application encore plus stricte des édits.
Alors, profitant de l’émoi causé par l’aveuglement royal, un petit groupe de seigneurs calvinistes se proposa de fonder une ligue et chargea Jean de Marnix de rédiger une formule de compromis susceptible d’être admise par les catholiques et les protestants. Les signataires juraient, par un serment solennel, de défendre les privilèges du pays et de repousser l’Inquisition. Pour le reste, ils ne réclameraient ou n’entreprendraient rien qui fut « au déshonneur de Dieu et du Roi ».
Jean de Marnix Source : Histoire de la Belgique et de son expansion coloniale, p. 102 |
Le Compromis des Nobles Source : Ancien manuel scolaire |
Le groupe se mit à recueillir secrètement des signatures. Au début de 1566, il avait rassemblé 2.000 adhérents parmi les nobles, les officiers, les riches négociants et même quelques ecclésiastiques.
L’emblème des gueux : la besace et l’écuelle
Source : Wikipedia
Le 5 avril 1566, le Compromis des Nobles fut soumis à la gouvernante par une délégation de 300 gentilshommes conduite par Henri de Brederode. Partagée entre la pitié et le sens du devoir, Marguerite refoula quelques larmes suscitant les paroles désormais célèbres du comte de Berlaimont : « Quoi, Madame, ce ne sont que des gueux ! »
Des gueux ! Ce sobriquet fut adopté par les signataires du compromis. Comme signes distinctifs, les nobles choisirent l’écuelle et la besace du mendiant qu’ils firent graver sur une médaille avec la devise « En tout fidèles au roi jusqu’à porter la besace ». C’était leur façon, à eux de signifier que beaucoup s’étaient appauvris au service du roi …
Le Compromis des Nobles eut un retentissement considérable. Son premier effet fut d’amener un régime de tolérance discrète envers les réformés qui consentiraient à ne pas faire de « scandale », ce qui équivalait à une intronisation modeste du régime de la liberté de conscience. Mais cette conception ne suffit pas aux calvinistes. Ils prétendirent avoir acquis la liberté de culte et ils commencèrent à lire l’Evangile au cours de prêches organisés en pleine campagne.
Le fanatisme des iconoclastes
Les iconoclastes
Source : Histoire illustrée de la Belgique, p. 93
Des aventuriers français se mirent à surexciter les masses et l’état d’esprit devenait de plus en plus révolutionnaire. Le 11 août 1566, des bandes de fanatiques hostiles à ce qu’elles appelaient « le culte des images » du catholicisme, envahirent les églises de la région d’Armentières. Elles brisèrent à coups de haches et de bâtons les autels, les statues des saints, lacérèrent les tableaux et les manuscrits précieux, brûlèrent les chaires de vérité et les confessionnaux. L’odieuse crise se propagea avec une rapidité étonnante jusqu’en Frise, incendiant sur son passage les églises et les monastères. Elle se termina le 6 septembre 1566.
Les excès des iconoclastes mirent à mal les pourparlers des nobles avec le pouvoir et exigeaient des décisions immédiates. Voulant enlever à Philippe II tout prétexte d’intervention, les grands maîtres du Conseil d’Etat se chargèrent de faire châtier eux-mêmes les pillards. Mais, Philippe II n’était pas dupe ! Après les troubles du mois d’août, il s’était juré d’appliquer intégralement son programme : briser l’hérésie et extirper les particularismes.
Pour exécuter ses projets, il choisit son plus dévoué serviteur, le duc d’Albe.