Ovide Decroly
Pédagogue, psychologue et professeur de psychologie de l’enfant, Ovide Decroly est un médecin-éducateur à l’origine d’une méthode nouvelle d’enseignement. Les idées maîtresses de sa pédagogie reposent sur les centres d’intérêt de l’enfant, l’observation et la globalisation.
A l’heure actuelle, ses principes profitent encore à de nombreux élèves.
A la recherche d’une vocation
Ovide Decroly
Jean-Ovide Decroly naît le 23 juillet 1871 à Renaix dans un milieu bourgeois. Ses parents sont obsédés par sa réussite scolaire et lui imposent une formation gréco-latine en internat. Enfant turbulent, le jeune Ovide se passionne davantage pour le dessin, la danse, la musique et, surtout, pour les sciences naturelles. Rien d’étonnant donc à ce qu’il s’oriente vers des études de médecine qu’il effectuera à l’Université de Gand.
Etudiant brillant, Decroly s’intéresse à l’anatomie pathologique avant de découvrir la médecine mentale. Lauréat du Concours universitaire et de la Fondation des bourses de voyage, il passe une année à l’Université de Berlin et à la Salpétrière à Paris où il rencontre des aliénistes d’avant-garde. C’est le déclic ! Decroly bifurque vers la neuropsychiatrie, puis vers la psychologie.
En 1898, il revient en Belgique et s’installe à Bruxelles où il poursuit des recherches sur les maladies mentales et sur l’anatomie pathologique du cerveau. Devenu assistant du service de neurologie de la Polyclinique de Bruxelles, le jeune médecin reçoit la charge du département des « enfants anormaux et troublés de la parole ».
De la théorie à la pratique
En cette fin de 19e siècle, la population des villes vit dans une grande misère et le bien-être des enfants n’est pas un souci prioritaire. S’agissant d’enfants déficients, l’abandon humain est encore plus cruel puisqu’ils sont automatiquement condamnés à l’échec et à la marginalisation. Pour Decroly, ces petits patients défavorisés doivent être pris en charge d’une manière plus appropriée que celle pratiquée, à l’époque, par l’école populaire qu’il ne tarde pas à fustiger :
Le Dr Decroly au travail
"J’affirme que l’école populaire a une influence nuisible, une action antisociale incontestable ; non seulement elle ne nous prépare pas à la vie, mais elle fait de beaucoup de nous des épaves de la vie, des déclassés, ou du moins elle ne fait rien pour nous éviter de le devenir – ce qui est tout comme. Pourtant, l’école pourrait être le moyen le plus puissant peut-être d’assurer la prophylaxie de la paresse, de la misère et du crime […], non pas comme elle est organisée actuellement, puisqu’elle-même est, en grande partie, cause directe ou indirecte de ces maux, mais comme elle devrait être organisée, comme elle l’est déjà dans certains endroits heureux où l’on a compris ce qu’elle fait de mal et ce qu’elle peut faire de bien".
Ecole de l'Ermitage
Une décision de la Société de Pédiatrie va orienter toute la vie de Decroly. Elle lui propose d’être le médecin chef d’une petite clinique qu’elle envisage de créer pour l’observation et le traitement d’enfants dits « anormaux ». Decroly accepte à condition de pouvoir accueillir ces enfants dans sa propre maison où ils seraient élevés avec ses propres enfants. C’est ainsi que s’ouvre, en 1901 « l’Institut d’Enseignement Spécial – Laboratoire psychologique du Dr Decroly ». Le laboratoire se transforme immédiatement en école-laboratoire où les petits « irréguliers » vivent une vie normale dans un milieu naturel. Ils trouvent à l’Institut les soins réclamés par leur état, mais aussi et surtout, ils y reçoivent une éducation la plus large possible, ce qui permet à Decroly d’affirmer que leur éducabilité est de nature identique à celle des enfants normaux, au rythme et aux limites près.
Cette thèse, le Dr Decroly va la démontrer avec succès. En 1907, à l’instigation d’amis et de parents attentifs à ses travaux, il ouvre une seconde école destinée aux enfants « normaux » : l’école de l’Ermitage. Aux 7 enfants inscrits à la création de l’école viennent rapidement s’ajouter d’autres enfants, nécessitant progressivement leur répartition en 6 groupes couvrant tous les degrés de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire.
En tant qu’écoles expérimentales, l’Institut et l’Ermitage bénéficient des mêmes techniques ; les moyens de changer la méthode éducative y sont systématiquement mis à l’épreuve avec comme objectif d’arriver à changer l’ensemble du système scolaire.
La « Méthode Decroly »
Decroly observe que l’activité mentale de l’enfant n’est pas spontanément analytique, mais qu’au contraire son appréhension de l’univers est marquée par la perception globale et confuse de plusieurs éléments (syncrétisme). Par ailleurs, le pédagogue défend également l’importance des « intérêts » dans la vie mentale de l’enfant ; ceux-ci sont essentiellement liés aux besoins fondamentaux que sont :
- Se nourrir
- Se reposer
- Se protéger du froid
- Se défendre
- Produire
Il importe donc que tout enseignement doit d’abord susciter un intérêt pour ce qu’il apporte. Dans chaque cas, il faudra partir de l’observation, provoquer les associations d’idées afin de découvrir quels intérêts les observations peuvent éveiller chez l’enfant pour, en fin de compte, lui permettre de s’exprimer et de montrer ainsi qu’il a assimilé ce qu’on lui a proposé.
La pédagogie decrolyenne repose sur quatre fondements :
- Les centres d’intérêts de l’enfant comme guide de l’éducation
- La globalisation
- La classe-laboratoire
- L’importance de l’environnement naturel qui met l’enfant en situation de découverte
Les centres d’intérêt de l’enfant
Exciter la curiosité de l'enfant
Pour stimuler l’intelligence d’un enfant, il faut s’adresser à son affectivité et exciter sa curiosité. L’intérêt est donc au centre de l’apprentissage parce que les centres d’intérêt créent des liens entre toutes les matières abordées par un mouvement de divergence et de convergence. Par le biais des centres d’intérêt, on respecte dès lors les motivations de l’élève et on lui offre la possibilité d’intégrer ses connaissances dans des ensembles ordonnés. Les savoirs sont ainsi acquis, développés et intégrés.
La globalisation
Le jeune enfant apprend et accumule les expériences sans ordre : il saisit d’abord globalement les choses et les êtres dans leurs relations entre eux et par rapport à lui-même. Il perçoit le monde comme une globalité vivante et c’est cette démarche qu’il convient d’adopter à l’école : partir d’un composé concret, réel et signifiant pour passer, plus tard au particulier et aux détails abstraits.
C’est de cette prescription que procède encore aujourd’hui la méthode devenue célèbre concernant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture : la « méthode globale ».
La classe laboratoire
Chez Decroly, la classe devient un atelier où l’enfant agit et vit. Elle est partout : à la cuisine, au jardin, à l’usine, au musée, etc. La pédagogie decrolyenne est de ce fait une pédagogie de l’éclatement des lieux d’apprentissage ; on y pratique le travail libre qui permet la véritable expérimentation et l’exercice du droit à l’erreur. Elle s’appuie sur le jeu et la joie car l’enfant élabore ses connaissances au lieu de recevoir une succession de notions obligatoires.
L’enfant apprend s’il apprend à agir !
L’environnement naturel
Enseigner en pleine nature
L’ouverture sur la nature est un élément fondamental de la pédagogie de Decroly. C’est, en effet, à la campagne que l’on trouve le matériel capable d’éveiller et de stimuler les potentialités de l’enfant. Il y découvre une mine inépuisable de sujets susceptibles de le faire réfléchir, parler ou écrire.
La nature met l’enfant en situation de découverte et lui permet de prendre conscience de son identité.
Une école pour la vie, par la vie
Chez Decroly, il n’est pas question de matière à terminer, d’horaire, d’échéances, de manuels scolaires ou de programme classique. L’organisation scolaire est fondée sur les projets et les plans de travail. Les élèves choisissent librement les sujets d’étude :
- Chacun propose les sujets qu’il désire traiter
- Les propositions sont négociées par le groupe entier
- Un plan de travail collectif est élaboré à plus ou moins long terme :
- Quelques jours chez les plus jeunes
- Une année chez les plus grands
N’importe quel thème présente des aspects scientifiques, économiques, géographiques, historiques, littéraires, juridiques qui requièrent l’introduction de techniques et de notions empruntées aux diverses branches, sans que leurs liens soient jamais perdus de vue. Mais la liberté de choix stimule le travail scolaire ; même difficiles, les apprentissages et les exercices tirent leur sens de leur utilisation immédiate. En traitant sans hâte et complètement tous les aspects d’un sujet, l’enfant se constitue une « boîte à outils » où il puisera de quoi traiter des questions nouvelles. Il a d’autant plus confiance en ses propres capacités d’invention, de découverte, de travail personnel qu’il n’a trouvé en face de lui aucun adulte gratifié de science infuse. L’école est plus acquise à la recherche qu’à la transmission.
Le corps enseignant
Mais, vous interrogez-vous, dans ces conditions, quel doit donc être le profil d’un maître decrolyen ? Decroly le définit de la manière suivante :
Amélie Hamaïde
« Peu de mots, beaucoup de faits. Il montre, fait observer sur le vif, analyser, manipuler, expérimenter, confectionner, collectionner »
Si, en 1901, Decroly et son épouse Agnès étaient à mêmes de prendre en charge l’éducation des premiers enfants déficients de l’Institut, force leur était de constater qu’il fallait élargir l’équipe enseignante, surtout après la création de l’Ermitage. Le Dr Decroly se chargera de former adéquatement chacun des nouveaux maîtres.
Une figure marquante du corps professoral est sans conteste celle d’Amélie Hamaïde. Détentrice d’un diplôme d’aptitude à l’enseignement spécial pour les enfants anormaux et arriérés, elle s’intéressera particulièrement aux enfants en difficulté et saura épauler efficacement le Dr Decroly pour l’orientation des adolescents de 14 ans.
En 1920, Amélie Hamaïde se met à la disposition de la Ville de Bruxelles pour propager la pédagogie active et former des enseignants à la pédagogie decrolyenne. En 1922, elle publie un livre sur la méthode Decroly qui sera traduit en 13 langues. En 1924, le Dr Decroly lui demande de prendre la direction de son école.
L’héritage de Decroly
Malade depuis 1930 et précocement terrassé par la fatigue, Ovide Decroly meurt le 12 septembre 1932 dans le jardin de l’Institut qu’il avait créé en 1901. L’incinération étant, à l’époque, interdite à Bruxelles, elle a eu lieu à Paris en présence d’une importante délégation d’enseignants.
Directrice de l’école du vivant de Decroly, c’est tout naturellement qu’Amélie Hamaïde se considère comme étant le successeur désigné du pédagogue. Elle s’est toutefois heurtée à l’opposition d’un groupe de professeurs et d’une partie de la famille Decroly. Après 2 années de lutte, Mademoiselle Hamaïde démissionne et crée sa propre école à Bruxelles.
La méthode Decroly a fait des émules dans le monde entier. En 1932 déjà, elle compte des adeptes non seulement en Belgique et en Europe mais également en Turquie, en Bolivie, au Chili, en Equateur où elle est adoptée officiellement dans le programme des écoles publiques. Par ailleurs, elle est une source d’inspiration en Uruguay, au Brésil et en Colombie …
« Introduire des innovations dans les programmes d’éducation et d’enseignement, ce n’est pas une paille ! Le mécanisme lentement élaboré par les siècles est complexe et peu susceptible de réfections importantes ; aussi, la plupart de ceux qui y vivent et en vivent trouvent-ils qu’il vaut mieux ne pas y toucher. Ils ne s’y trouvent d’ailleurs pas mal et n’en constatent pas les lézardes »Anthologie de textes extraits de manuscrits d’Ovide Decroly
Contexte historique :