La vie économique et sociale
Dans leur enthousiasme de participer aux Croisades, beaucoup de seigneurs avaient aliéné leurs domaines et plusieurs d’entre eux avaient d’ailleurs péri au loin. La multiplication des échanges due au réveil du commerce en Europe occidentale engendra une crise de la seigneurie foncière.
A l’affaiblissement de la classe seigneuriale correspond une amélioration des conditions d’existence des manants et des serfs grâce à l’exemple des moines cisterciens qui permirent aux cultivateurs de leurs domaines de racheter leurs charges serviles (cens et corvées). Ils furent rapidement imités par les autres propriétaires fonciers.
La prospérité de l’agriculture
L’accroissement des villes offre de magnifiques débouchés à l’agriculture car il faut nourrir une population non agricole.
Les nouveaux paysans libres ont désormais le choix de pratiquer :
- Soit la location à bail, payée en argent,
- Soit le métayage, c’est-à-dire le partage des produits de la terre avec le propriétaire.
Ils ne tardent pas à mettre en valeur des terres demeurées incultes telles les « schorren » (terres gagnées sur la mer) et le défrichement des terres boisées. Ils obtiennent également des moissons de plus en plus riches et des élevages de plus en plus prospères avec une main-d’œuvre de moins en moins nombreuse grâce à la généralisation du progrès technique :
- Le marnage et d’autres engrais
- L’attelage en file
- L’usage de ferrer à clous les sabots du cheval
- Le nouveau collier d’épaule qui remplace l’antique collier de cou qui comprimait l’encolure du cheval et gênait d’autant plus la respiration que le poids à tirer était plus lourd. Le collier d’épaule permet de décupler la force de traction.
Maréchal ferrant | Collier d’épaule |
Le commerce et l’industrie connaissent un véritable essor
Un nombre croissant d’individus abandonna les champs et les prairies pour se consacrer à l’industrie et au commerce.
Les échanges avec l’extérieur ne cessant de croître, ils créaient des besoins nouveaux et obligeaient à acheter des matières premières à l’étranger. Bientôt la draperie et la métallurgie vont amorcer le cycle économique : à la multiplication des besoins correspondait un accroissement régulier du potentiel de la production.
Au 11e siècle, la beauté des tissus fabriqués en Flandre était largement répandue en France, en Angleterre, en Scandinavie, en Allemagne et en Russie. Les marchands qui fréquentaient les foires flamandes et wallonnes qui se succédaient pendant toute la partie de l’année où les routes étaient praticables, y bénéficiaient :
- De la franchise d’arrêt : « amnistie » des sanctions pour délits pendant la présence à la foire
- De l’exception des droits d’aubaine : les étrangers n’étaient redevables d’aucune taxe sur leurs propres biens
- De l’exception des droits de représailles : aucun droit de saisie à l’encontre des marchands
Le mouvement des croisades ouvrit largement un marché nouveau à l’expansion économique des régions belges : le monde méditerranéen. L’Orient manquait de tissus et d’armes que Flamands et Wallons pouvaient fournir aux marins vénitiens, pisans et génois, tandis que l’Europe était avide d’épices, de parfums, de soies et de bijoux orientaux.
Le port de Bruges
Source : Ancien manuel scolaire
Le port de Bruges était fréquenté par de nombreux marchands qui chargeaient la production locale et déchargeaient des produits de luxe et autres marchandises. Il n’était donc pas étonnant que s’installent à Bruges des représentants des grandes maisons d’Allemagne, de France, d’Espagne, d’Angleterre et d’Italie. Bruges devint ainsi le plus important marché du Nord de l’Europe, rivalisant avec Venise.
Mais Bruges était aussi un centre international de paiement et de crédit. Les banques italiennes y faisaient une bonne partie de leurs opérations et y négociaient leurs lettres de change.
Au fur et à mesure que se développait le commerce, la monnaie faisait l’objet de conventions internationales pour en stabiliser le cours. Et ce n’était pas un luxe ! Voici à titre d’exemple, ce que l’on trouvait dans les comptes de l’abbaye de Ryckel près de Tongres :
- Des écus de Liège et de Louvain
- Des monnaies allemandes, anglaises ou françaises
- Des deniers de Saint Trond
- Des deniers de Hollande
- Des deniers de Cologne
- Des deniers Sterling
- Des deniers Tournois
Denier sterling Source : http://www.nbbmuseum.be |
Denier de Liège | Denier tournoi d’A. de La Marck | Gros du Brabant |
Les deniers avaient des valeurs extrêmement différentes :
- Les deniers Tournois et de Saint Trond ne valaient que la moitié d’un denier de Liège
- 1 denier Sterling valait 2 deniers de Liège
- 1 denier Sterling valait 3 deniers de Louvain
Et à Liège :
- 1 denier = 2 oboles
- 1 sou = 12 deniers
- 1 marc = l livre = 20 sous
Le changeur et sa femme
Source : Toile de Quentin Metsijs
Un véritable casse-tête ! Ces calculs complexes expliquent l’importance du rôle des changeurs. Fonctionnaires communaux, ils sont chargés de toutes les opérations, y compris celle qui consiste à éliminer les pièces fausses ou mauvaises qui abondent.
Les Lombards, eux, se spécialisent dans les prêts financiers et s’implantent si solidement en Belgique qu’on les voit devenir d’opulents propriétaires terriens. Les taux des prêts qu’ils consentaient étaient à la fois variables et très élevés :
- Au 13e siècle, les villes empruntaient à 14 ou 20 %
- Les petites cités devaient payer jusqu’à 43 %
- Au 15e siècle, Bruges empruntait à 15 ou 24 %
- Mais le taux atteignait parfois 100 voire 130 % !
Et la vie quotidienne ?
On devient plus raffiné …
Source : Bruxelles, où est le temps, p. 324
Le Belge du 13e siècle vit intensément et participe à une évolution rapide de la société.
On devient plus raffiné. On commence à se servir de fourchettes et les coquettes portent de la mousseline. Mais dans les tavernes, on s’assied toujours à terre sur des bottes de jonc séché.
La bière fait son apparition. A table, on sert rarement la viande sur des assiettes : on la présente sur une tranche de pain. En guise de condiment, on utilise que peu de poivre car il est très cher, mais on ne lésine pas sur la moutarde, les oignons et l’ail. Au menu des Belges figurent encore : des harengs, du bœuf bouilli, des tartes au fromage et beaucoup de vin car les vins provenant des vignobles liégeois et surtout namurois sont très estimés !
Les gourmets apprécient particulièrement le cou de cygne grillé et servi avec des amandes. Et puis, il y a aussi les pâtés car, faute de soins dentaires, les bouches sont crénelées de chicots branlants qui ne permettent plus de mordre à pleines dents dans un râble de lièvre ou une tranche de marcassin.
Mais un énorme fossé sépare le train de vie des riches de celui des pauvres.
Si nous n’avons conservé aujourd’hui que les superbes maisons communales, quelques hôtels patriciens et les plus belles églises, il faut bien se dire que ce n’est pas le témoignage de la société dans son ensemble. Le Moyen Age urbain est par excellence celui de l’inconfort, de la saleté et de la promiscuité : cabanes de planches et huttes en torchis abritent le prolétariat où on dort, tout nu, à 6 ou à 8 dans d’énormes lits.
Emeutes citadines
Source : Le défi belge, p. 59
La lutte des classes gronde !
La répartition inégale de la richesse va engendrer la lutte des classes. Elle met aux prises une riche bourgeoisie et un énorme prolétariat. Les révoltes et les violences de ce dernier apparaissent d’autant plus sauvages et ses réactions incontrôlables qu’il est composé d’une multitude de paysans déracinés de leur habitat rural et du rythme champêtre de leurs occupations traditionnelles.
Par des émeutes ainsi que par des scènes de meurtres et de pillages, le peuple va hurler sa colère contre le patronat qui l’exploite sans vergogne. Il trouvera des alliés inespérés qui l’aideront à s’organiser. Nous y reviendront dans nos prochaines pages dédiées aux différentes principautés belges :
- Le comté de Flandre
- Le comté de Hainaut
- Le duché de Brabant
- La principauté de Liège
- Les autres principautés belges au Moyen âge