Conflits sociaux
Le calme dont jouissait la principauté de Liège cessa à l'avènement des princes-évêques de la Maison de Bavière.
Le premier d'entre eux, Ernest de Bavière, fut le moins despotique : courtois et charitable, il sut éveiller les sympathies. Mais au début du 17e siècle, il vit croître l'agitation populaire contre le régime électoral toujours en vigueur dans la capitale depuis 1424. Ce régime transactionnel, connu sous le nom de "Régiment de Heinsberg" avait perdu, au fil des années, son caractère de compromis. Impressionné par quelques émeutes, le prince-évêque donna aux Liégeois le "Règlement de 1603" qui abandonnait aux 32 métiers l'élection des 2 bourgmestres et du Conseil des 30 jurés de la Cité.
Le successeur d'Ernest fut son neveu Ferdinand. Pas plus que son prédécesseur, ce grand seigneur mondain n'avait été ordonné prêtre. Pendant les 23 premières années de son règne, il ne résida que 6 mois dans sa principauté et s'imagina pouvoir éteindre chez les Liégeois le goût de la liberté ! Il restaura le "Régiment de Heinsberg" en 1613, ce qui ne tarda pas à mettre le feu aux poudres.
Il se forma alors 2 partis :
- Les partisans du prince : ils se recrutaient parmi les nobles, les membres du clergé et les bourgeois hispanophiles. Comme ils formaient des compagnies militaires habillées de noir et à bas blancs, le menu peuple les nomma "hirondelles" : Chiroux en dialecte local.
- Les démocrates comprenaient les masses plébéiennes, les bourgeois secrètement protestants, les politiciens et avocats hostiles au fanatisme religieux. Ils furent surnommés les "Grognons" : Grignoux.
Ferdinand de Bavière Source : Wikipedia |
Chiroux et Grignoux |
Le conflit entre Ferdinand de Bavière et le peuple prit le caractère d’une guerre civile. Le peuple avait, en 1630, désigné 2 bourgmestres que Ferdinand refusa de reconnaître :
- Guillaume de Beeckman, vétéran des luttes démocratiques
- Sébastien La Ruelle, démocrate que sa haine pour les Jésuites et les Espagnols avait conduit à une entente secrète avec la France.
Le premier mourut l’année suivante d’un mal mystérieux ...
En 1635, le prince-évêque fit ravager et incendier 8.000 fermes. Les milices communales finirent cependant par vaincre et tuer les bandits à la solde de Ferdinand. Ce fut un triomphe pour La Ruelle ! Un perfide comte en disgrâce imagina cependant de faire assassiner le bourgmestre dans l'espoir de rentrer en faveur auprès des Habsbourg. Le projet fut mis à exécution en 1637 mais ce forfait fut instantanément puni par le peuple. La foule prit d’assaut l’hôtel particulier du commanditaire, massacra les 60 sicaires qui le gardaient et traîna le principal criminel jusqu’à la potence où il fut pendu la tête en bas. La Ruelle, ainsi vengé, fut honoré d'obsèques solennelles.
Sébastien La Ruelle sur son lit de mort
Longtemps encore la querelle entre aristocrates et plébéiens fut marquée par des épisodes sanglants. Lors des élections de 1646, les Grignoux saccagèrent le palais épiscopal et les demeures de leurs adversaires. Ce fut la "Sainte-Grignoux" !
En 1649, Ferdinand mis Liège au ban de l'Empire et envahit le pays avec un corps d'Impériaux. Les milices communales furent dispersées et les Grignoux durent capituler. Ferdinand fit exécuter les 2 bourgmestres et remplaça le Règlement de 1603 par un statut excluant les métiers des élections communales.
Durant l'occupation française, les autorités communales supplièrent Louis XIV de démolir la citadelle. Comme ce fort inquiétait le roi de France au point de vue stratégique, la démolition en fut autorisée, à la grande joie du peuple liégeois. Les Grignoux profitèrent de la circonstance pour relever la tête et une nouvelle guerre civile éclata.
Maximilien-Henri de Bavière
Le prince-évêque, Maximilien-Henri de Bavière, ne se croyant plus lié par un traité que le peuple avait violé le premier, fit savoir aux élus municipaux qu'il n'y avait plus pour eux d'autre choix que de se soumettre à leur prince et de lui rendre ce qu'ils lui devaient. Macors, Renardi, Giloton et quelques autres représentants des métiers sentirent qu'il était urgent de se rapprocher du prince-évêque et lui adressèrent alors une lettre de conciliation. Ce dernier campa cependant sur ses positions et leur adressa une fin de non-recevoir.
Devant ce refus, les troubles et l'anarchie reprirent de plus belle. La troupe fut dépêchée et, lorsqu'elle arriva aux portes de Liège, elle n'eut pas la moindre difficulté pour y entrer afin de rétablir l'ordre :
- Giloton eut la possibilité de se sauver avec quelques autres
- Macors, qu'on avait arrêté dans sa maison, aurait également pu s'échapper mais sa conscience lui disait qu'il n'était pas coupable ; il fit confiance à la justice pour reconnaître son innocence
- Renardi fut arrêté et mis aux fers.
Macors et Renardi furent condamnés à mort et eurent la tête tranchée en 1684. Giloton, quant à lui, fut condamné par contumace et exécuté en effigie !
Maximilien-Henri de Bavière imposera par la suite une réforme du règlement électoral (le "Règlement de 1684") qui mettra à sa botte une grande partie des trois Etats et des métiers. Cet abus de pouvoir sera dénoncé pendant la révolution liégeoise de 1789 ...